Le Mariage chrétien et la question du « gender »
I. Le mariage et la réalité « séculaire »
A travers le monde occidental aujourd’hui des énormes pressions du monde séculier mettent de plus en plus en question l’intégrité et le sens même de la « famille nucléaire ». La cohabitation sanctionnée par le PACS, les unions civiles, et le « mariage homosexuel » sont moins une cause de la dissolution du mariage traditionnel qu’une réaction contre l’hypocrisie d’une société qui se dit fondée sur l’union conjugale entre un homme et une femme, société pourtant où l’adultère est monnaie courante et le taux de divorce se situe autour de 50%. Face à une telle situation, les jeunes (et moins jeunes) se posent la question : pourquoi pas vivre en cohabitation avec une personne aimée, étant donné le fait que seules les relations sexuelles sont interdites aux yeux de la société traditionnelle ? (Quelque soit le mode de « vie ensemble », sans de tels rapports le terme « cohabitation » ne s’applique pas.) Suivant le même raisonnement on peut se demander pourquoi le mariage ne doit pas être vécu entre deux personnes du même sexe qui s’aiment et qui s’engagent à rester fidèles l’un à l’autre « jusqu’à la mort les sépare » ? Ici également la pierre d’achoppement et la source de scandale est uniquement l’activité sexuelle. Qu’est-ce qui fait qu’aux yeux de la société, et surtout de l’Église, la condition fondamentale qui permet que deux personnes mènent une vie commune « acceptable » soit l’absence de rapports sexuels entre elles ?
Ce n’est pas que nous rejetions – ou ça ne devrait pas l’être – l’expression de la sexualité par réaction puritaine ou que, par dégoût homophobe, nous ayons un mouvement de recul devant les unions entre personnes de sexe identique. C’est que l’Église reconnaît que les relations sexuelles intimes ont reçu de Dieu un potentiel unificateur, sacramentel et procréateur qui ne peut être réalisé de manière saine et sainte que dans le contexte d’une union conjugale hétérosexuelle, monogame, profondément engagée dans l’Église. Car le but ultime de l’union conjugale est d’établir entre les époux une véritable transfiguration de l’être qui reflète et qui « incarne » en une seule chair l’union mystique, sacramentelle, entre le Christ et son Épouse, l’Église. L’accomplissement de cette transformation ne peut se faire sans la complémentarité entre homme et femme, donnée et voulue par Dieu depuis la création de l’être humain (Gn 1, 26-27 ; 2, 18-24 ; voir 1 Co 7, 1-4). La question du « gender » ou « genre » fait donc partie intégrante de toute réflexion sur les relations sexuelles entre deux personnes.
Certes, nous pourrions polémiquer en invoquant des passages bibliques contre tout : du divorce à la fornication et à l’homosexualité. Ou bien nous pourrions discrètement nous résigner aux réalités de « ce monde », espérant contre tout espoir que nos propres enfants arriveront d’une manière ou d’une autre à être épargnés de tout cela. Ni l’une ni l’autre de ces attitudes ne sert à grand-chose, ni ne répond aux réels besoins de nos adolescents.
Quel que soit notre jugement sur les divers types de comportement sexuel d’aujourd’hui, il est impératif qu’en tant que membres du Corps du Christ, nous soyons à l’écoute de nos jeunes, que nous nous efforcions de comprendre leur raisonnement et que nous réagissions de manière directe et intelligente. Il faudrait aussi que nous leur répondions de façon aussi pleine de compréhension, de compassion et de tendresse que nous le pouvons. Simultanément, nous devons, à propos de la sexualité dans son ensemble, depuis la procréation, le don de la vie, et jusqu’au sida porteur de mort, proposer à nos jeunes une réflexion sérieuse, saine et équilibrée, et le faire dans le cadre familial autant que dans nos communautés paroissiales.
II. Notre attitude vis-à-vis de nos jeunes
En ce qui concerne les couples non mariés, il faut que nous comprenions la réticence que beaucoup ressentent à contracter de nos jours un mariage légal, alors que le taux de divorce est si élevé, et que les contrats de mariage ne peuvent éliminer ni la blessure, ni les tracas administratifs, qui accompagnent le règlement d’un divorce. Si des jeunes gens, par exemple, semblent s’obstiner à ignorer ce que nous considérons comme la réalité essentielle du mariage, c’est souvent parce que nous-mêmes nous avons échoué à leur offrir un modèle acceptable de relations conjugales justes et en fin de compte satisfaisantes. Et d’autre part, si l’attitude de nos enfants envers la sexualité peut être souvent d’une désolante désinvolture, dépourvue de profondeur et d’engagement réels, c’est en grande partie sans doute parce que nous avons accepté que les relations sexuelles, dans nos milieux, soient dépréciées et dépouillées de leur authentique mystère. Si leur comportement sexuel peut paraître choquant aux générations plus âgées, cela est dû principalement à un échec de notre part à transmettre certaines vérités : que la personne humaine est d’une infinie valeur et qu’elle mérite par conséquent un respect inconditionnel, incluant le respect de l’intimité du corps ; ou que la joie, la beauté et le but ultime du mariage authentique sont donnés par Dieu comme un avant-goût de la vie dans le Royaume des cieux.
La conduite de nos enfants, et la dissolution de la moralité sexuelle en général, a autant d’effet sur nous que sur eux. Au lieu de les blâmer, les condamner ou les rejeter, eux et leur conduite, nous devons écouter, enseigner, guider, bénir et pardonner. Nous devons comprendre – même quand nous ne pouvons pas les approuver – leurs motivations, leurs craintes et leurs aspirations. Par-dessus tout, nous devons redécouvrir l’essence du mariage chrétien, pour nous-mêmes autant que pour eux, et lui donner la possibilité de transformer nos propres relations conjugales en une image vivante de l’amour et de l’offrande mutuelle de soi qui unissent le Christ et l’Église en « un grand mystère » (Ep 5, 32).
III. Notre attitude envers les couples de même sexe
C’est en grande partie la même démarche qu’il faut avoir envers les unions entre personnes de même sexe, que le statut légal du mariage leur soit ou non accordé. Là aussi, il nous serait facile de condamner l’homosexualité et les couples de même sexe sans essayer de comprendre les motivations des gens en cause, ou les facteurs sous-jacents à leur conduite. L’Écriture condamne sans ambiguïté les actes homosexuels, et l’apôtre Paul ajoute que ceux qui commettent de tels actes « n’hériteront pas du Royaume de Dieu ». Mais à ceux qui sont ainsi condamnés, il ajoute aussi ceux qui sont enclins aux abus verbaux (loidoroi), à l’ivrognerie (methusoi), et même à la convoitise (pleonektai) (1 Co 6, 9-10). Ce qui décrit tout un chacun… Mon propos n’est pas de dire que ce sont là des conduites acceptables et que Paul avait tout simplement tort. Mais nous savons maintenant que derrière un grand nombre de ces comportements, dénoncés comme conduites volontaires, il y a souvent des motivations et des pulsions inconscientes qui les conditionnent.
Il ne s’agit pas de minimiser quoi que ce soit, mais plutôt de dire que l’inclusion de ces comportements dans la liste de saint Paul doit être comprise dans son contexte culturel, historique, et même médical. Cela est également vrai de l’homosexualité. Jusqu’à récemment, elle était considérée comme l’expression de la libre volonté. Nous savons aujourd’hui qu’il y a une orientation homosexuelle, distincte des actes spécifiques. Que cette orientation soit due à la nature ou à l’éducation, aux gènes ou à l’environnement, reste une question ouverte. Quelle que soit la réponse qu’on lui apporte un jour, nous devrions continuer à tenter de comprendre les sentiments et les conduites de vie des homosexuels hommes et femmes. Je le répète, cela ne signifie pas que nous approuvions les actes homosexuels. Au contraire, en dépit des protestations d’autojustification de la communauté gay, l’expérience pastorale, ajoutée aux facteurs génétiques ou environnementaux qui entrent en jeu dans l’homosexualité, conduisent un grand nombre d’entre nous à la conviction qu’il y a quelque chose de malsain, une dysfonction, un désordre, dans la condition homosexuelle elle-même, et que, par conséquent, elle est potentiellement destructrice quand elle débouche sur l’activité sexuelle. Néanmoins, il est impératif de ne pas confondre le passage à l’acte et celui qui le commet, en particulier quand la personne désire soit changer d’orientation sexuelle, pour autant que cela soit possible, soit s’orienter vers la chasteté.
Est-il envisageable, donc, que l’Église orthodoxe, un jour, bénisse le mariage gay ou les unions de gens de même sexe ? La réponse est, sans aucun doute : non. Ce n’est cependant pas, ou ce ne devrait jamais être, par réaction puritaine ou homophobe, par opposition de principe à une conduite jugée, comme c’est encore souvent le cas, aberrante ou repoussante. C’est bien plutôt parce qu’il y existe une « voie meilleure » qui mène à un bien-être supérieur tant au point de vue physique que spirituel. Cette voie meilleure requiert peut-être qu’une personne aux tendances homosexuelles déclarées soit prête à s’engager dans un combat de toute une vie pour demeurer dans la chasteté ou, qu’à tout le moins, elle demeure endurante dans le repentir sincère, alors même qu’elle ne satisfait pas à cette exigence. Dans cette disposition-là, rien ne la différencie d’un homme ou d’une femme hétérosexuel célibataire, qui doit de la même manière lutter contre les tentations et les désirs sexuels afin de demeurer dans la chasteté.
C’est là certainement une prise de position impopulaire, considérée comme totalement démodée, même par un grand nombre de nos fidèles. Pourtant, la tradition monastique de l’Église a confirmé depuis bien longtemps la puissance de la maîtrise sexuelle intégrale dans l’acquisition de la chasteté qui, bien plus qu’une simple abstention, est disponibilité au spirituel. À ceux qui répliquent à cela que tous ne sont pas appelés au monachisme, ce qui est évident, il faut rappeler que la sexualité est une puissante énergie – l’intensité des plaisirs qu’elle procure en est un signe – qui n’est pas sa propre finalité et que l’amour auquel elle est étroitement associée lui indique son moyen et son but ultime, à savoir l’expression profonde et sanctifiante de l’amour-charité. En particulier pour ceux qui sont célibataires, l’erôs de la chair peut se transformer progressivement en erôs divin, en agapè, qui s’exprime en un désir insatiable d’union avec Celui qui est à l’origine et à la fin de tout amour.
Qu’est-ce que cela signifie alors pour le phénomène de plus en plus répandu, du moins dans les pays de l’Europe de l’ouest et de l’Amérique du nord, du mariage homosexuel ? Et quelle est la signification du « gender » qui sous-tend ce phénomène ?
III. Le mariage homosexuel et la controverse sur le genre
Parmi les cercles de théologiens orthodoxes, on souligne souvent que le problème majeur de notre époque n’est ni la Christologie, ou l’ecclésiologie, comme autrefois, mais plutôt l’anthropologie, la doctrine ou l’enseignement de l’Église concernant la personne humaine. Rien ne peut mieux illustrer ou confirmer ce point de vue, que la controverse qui se déroule aujourd’hui en France et ailleurs sur le genre: Est-ce que la différenciation entre le masculin et le féminin est un phénomène social et culturel, ou est-ce une caractéristique de la nature humaine ? Est-ce que le genre est à proprement parler une catégorie de la philosophie ou de l’ontologie ?
La « nouvelle théorie du gender », largement répandue aujourd’hui, soutient principalement que l’identité sexuelle est une résultante sociologique et culturelle, déterminée par l’environnement social et culturel de la personne, plutôt que par une combinaison biologique (chromosomes XX ou XY). Cela veut dire que les particularités du « masculin » ou du « féminin » sont des rôles, choisis ou imposés, qui sont indépendants de la nature de la personne, ou de sa spécificité ontologique. Bien plus, cela implique que l’orientation sexuelle de quelqu’un (hétérosexuelle, homosexuelle, bisexuelle, transsexuelle) est une question de choix. Cette doctrine soutient qu’une personne est, ou devrait être libre de choisir et de vivre en fonction d’une inclination sexuelle particulière, sans préjudice ni obstacle. Par conséquent, les ouvrages de bioéthiques qui traitent de cette question tendent progressivement à dire que les adolescents à partir de 15 ans, devraient être libres d’avoir des relations sexuelles avec leur propre sexe ou le sexe opposé, à leur convenance.
En France, le sujet a fait la « une » des médias, parce que les livres scolaires des « Sciences de la vie » présentent des rubriques sur cette théorie pour les classes de terminales. C’est déjà un sujet obligatoire pour le programme de Sciences Po, depuis 2010. Et maintenant cette théorie est sur le point d’être imposée au niveau des élèves de lycée. Nombre d’étudiants, de professeurs et de parents craignent que les examens de fin d’année insèrent cette théorie, obligeant ainsi les étudiants à adopter l‘enseignement que ces manuels donnent, ou du moins à faire semblant.
Il y a eu un effet boomerang dans les médias et dans l’Église. L’Église catholique romaine, par toutes sortes de déclarations, a demandé le retrait de ces livres scandaleux. Des professeurs ont déclaré, à travers des pétitions et dans les médias, que « la théorie du gender » contrevient aux principes fondamentaux sur lesquels repose l’éducation, en particulier la neutralité en ce qui concerne l’intimité de la vie sexuelle des étudiants. Ils démontrent, à juste tire, que cette théorie n’est pas scientifique, mais qu’elle représente une idéologie que défend surtout la communauté homosexuelle.
Quelle serait une juste réponse Orthodoxe à cette question ? À mon avis, il est nécessaire d’établir un équilibre entre deux extrêmes : d’une part, l’homophobie qui est la réponse typique de nombre de Chrétiens à la relation « gay », et d’autre part un certain relativisme concernant les questions de sexualité, qui brouille et dénature le problème en confondant la sexualité et le genre.
L’anthropologie Orthodoxe affirme que « Dieu les a créés homme et femme », dans le but fondamental de permettre le développement de la race humaine (Gn 1). Elle affirme également que la fin ultime du mariage se situe au delà de la procréation, en une union « d’une seule chair » qui, comme nous l’avons souligné, reflète et incarne le « mystère » sacramentel entre le Christ et l’Église, celle-ci conçue comme Son Épouse. C’est ainsi qu’il y a une complémentarité sexuelle essentielle qui permet à un homme et à une femme de remplir cette vocation. Cette différenciation entre homme et femme, mâle et femelle, est inscrite dans notre ADN. C’est pourquoi le genre doit être compris comme une fonction de la nature humaine, une caractéristique fondamentale et irréductible de l’être humain.
Crée à « l’image et selon la ressemblance de Dieu », la personne humaine est appelée à une vie sexuelle en accord avec l’identité de son genre. Cette attitude suppose un niveau d’intimité sexuelle qui dépasse toute autre forme de relation personnelle, en créant une communion psychologique et spirituelle entre deux personnes, dont un but principal est de pro-créer, c’est-à-dire de coopérer avec Dieu à toute action authentiquement créatrice. Ceci dit, l’Orthodoxie reconnaît la valeur unificatrice de la relation sexuelle : l’acte sexuel concrétise l’expression d’un amour et d’une dévotion réciproques, même si (pour une raison autre que le seul refus d’avoir d’enfant) il n’est pas suivi de procréation. C’est pour cette raison qu’elle reconnaît qu’un mariage sans enfants peut accomplir pleinement sa vocation première, et que, d’ailleurs, dans certains cas la contraception est acceptable. Toutefois, l’Église a toujours conçu la procréation comme une raison première de l’acte sexuel. C’est pourquoi elle souhaite que l’activité sexuelle soit limitée au mariage entre un homme et une femme, dont l’union doit être monogame, hétérosexuelle, bénie (en tant que sacrement de l’Église) et conjugale (une seule union avec un engagement pour toute la vie).
Nous vivons une époque de contrastes et de conflits dont la plupart sont positifs. Les femmes sont de plus en plus reconnues comme égales des hommes et méritent la même protection légale, à leur domicile, au travail ou dans la rue. En même temps, la possibilité d’une orientation homosexuelle est progressivement acceptée, que la cause en soit génétique, environnementale ou (plus vraisemblablement) les deux. Encore une fois, cela ne veut pas dire que l’Église devrait bénir des « mariages gays », ou les relations homosexuelles en général (parce qu’elle conçoit de tels actes comme ni sains ni bons pour les personnes concernées). Cela veut dire, pourtant, que l’orientation sexuelle est un mystère qui dépasse la connaissance actuelle médicale ou scientifique, et qu’elle doit comme telle être respectée.
IV. L’emploi du terme « mariage »
Il semble approprié, voire essentiel, de faire une distinction entre les “unions (civiles) de même sexe”, et les “mariages de même sexe”. Les premières sont depuis longtemps une réalité dans de nombreuses sociétés occidentales. Les faits invoqués pour leur défense sont qu’elles protègent des injustices sociales ou légales ; qu’elles offrent également une alternative à la promiscuité qui a sévi et conduit à tant de souffrance et de morts en notre époque de sida ; enfin, vu que de tels couples peuvent déjà, dans certains pays, légalement adopter des enfants, c’est que la reconnaissance sociale et légale de leur union offrirait la stabilité et une protection nécessaires à ces enfants qui sans cela en seraient privés.
Néanmoins, il semble tout aussi clair que l’Église ne devrait pas bénir formellement de telles unions. Dans la mesure où elles impliquent des rapports homosexuels actifs, elles sont basées sur une relation que nous ne pouvons considérer comme matrimoniale. Cette relation, du reste, peut être particulièrement problématique quand de tels couples adoptent des enfants. Heather a peut-être deux mamans [dans les écoles secondaires aux USA, les enfants lisent souvent, dans leur cursus scolaire, un livre qui porte le titre Heather has two Mommies], mais, somme toute, ça ne serait sans doute pas plus mal pour elle si elle avait une maman et un papa… C’est là une vérité inscrite dans la nature humaine elle-même, et qui doit être reconnue et défendue en conséquence.
L’expression « mariage homosexuel » est un oxymoron. Malgré les pressions grandissantes pour que soient universellement acceptés les mariages de personnes de même sexe, l’Église orthodoxe est obligée, de par son anthropologie aussi bien que de par son expérience pastorale, de les résister sans ambages. Le terme même de « mariage » doit être conservé, préservé et protégé, pour désigner exclusivement l’union d’un homme et d’une femme, dans un lien formel caractérisé par la fidélité et la permanence. Cette définition, nous allons le voir, est totalement insuffisante pour définir le mariage chrétien. Mais même dans son usage séculier, le terme « mariage » doit garder sa définition conventionnelle. Cela est nécessaire pour sauvegarder le rôle social, psychologique et spirituel de la famille nucléaire, fondée sur l’altérité et la complémentarité qui existent entre le mari et la femme.
V. Le mariage monogame, hétérosexuel, béni et conjugal : mariage qui vise le salut
Si jusqu’à présent nous avons caractérisé le mariage comme monogame, hétérosexuel, béni (sacramentel), et conjugal, c’est que chacun de ces quatre termes est crucial pour établir le lien unique d’alliance entre mari et femme, qui reflète la relation d’amour sacrificiel entre le Christ et l’Église.
Ces adjectifs décrivent le contenu et les limites de l’union à laquelle s’engage un couple chrétien par le sacrement du mariage, compris au sens le plus large. Comme les offices liturgiques du baptême et de la chrismation, l’office du mariage est un office d’initiation. Il introduit le couple dans une réalité nouvelle, un nouveau mode d’existence, et il en fait une création nouvelle. L’aspect sacramentel de cette réalité nouvelle n’est pas limité à l’office liturgique lui-même, mais devrait continuer et croître durant toute la vie des personnes concernées. Exactement comme notre vie tout entière consiste en un renouveau continuel de la grâce baptismale par le pouvoir de l’Esprit, de même dans la vie conjugale il devrait y avoir un continuel approfondissement et un continuel perfectionnement de la grâce conférée par la bénédiction de l’Église lors de l’office du mariage.
Le terme « mariage », par conséquent, fait référence à l’entreprise de toute une vie d’engagement fidèle et responsable en vue du bien-être et du salut de l’autre, l’époux. Cependant, c’est plus qu’une union entre deux personnes. Le mariage chrétien est l’icône de la relation d’amour qui existe entre le Christ et son Corps tout entier, l’Église universelle. Il trouve son pouvoir et son sens ultime dans la participation à cette relation. Le mariage est donc essentiellement une réalité ecclésiale. Intensément personnel sur le plan des expressions de l’intimité, sexuelles ou autres, il est aussi profondément communautaire dans la mesure où le couple répond à l’appel qui lui est fait : que la relation matrimoniale devienne une véritable alliance entre les personnes, une alliance qui les unisse avec Dieu et avec l’entière ecclesia, avec la communion universelle des saints, vivants et défunts.
Si le mariage chrétien est nécessairement monogame, c’est précisément à cause de la relation du couple avec Dieu. Comme les prophètes d’Israël l’ont maintes fois affirmé, le Seigneur est un Dieu jaloux. Son amour pour son peuple est total et sans limites. Il s’étend à l’humanité tout entière et à toute la création. Pourtant cet amour se centre sur chaque personne individuelle. Chacun de nous devient aux yeux de Dieu Son unique bien-aimé, Son unique enfant. De la même façon que Dieu s’engage envers nous, le mariage chrétien requiert que deux personnes, un homme et une femme, s’engagent totalement et sans compromis, l’un envers l’autre et envers Dieu. Leur engagement d’amour est exclusif, unique et total. Ce n’est qu’ainsi qu’il peut être le témoignage de l’amour unique et sans limites du Christ pour Son Église et pour Son monde.
Il y a un besoin inné chez l’homme d’être aimé, et surtout d’être aimé de quelqu’un en particulier. Tout aussi inné est le besoin d’aimer quelqu’un d’autre, de diriger son énergie affective et sexuelle vers une personne spécifique – l’aimé – qui fait naître notre confiance absolue et notre dévouement entier. C’est précisément le caractère unique de cette relation qui donne la capacité à cette personne, et à cette personne seule, de devenir pour moi un « tu », de telle sorte que nous puissions partager ensemble et combler l’un pour l’autre dans le temps et l’espace les moments les plus importants de notre existence quotidienne.
La vertu principale de la monogamie est de donner le temps de connaître l’aimé(e) dans tout le mystère magnifique et complexe de son être personnel. Acquérir cette sorte de connaissance est l’oeuvre de toute une vie, puisque les personnes croissent et changent chaque jour. Et cela peut durer au-delà de la vie, quand l’époux resté vivant maintient avec le défunt une relation de communion continue. Bien que, face à l’échec ou en cas de veuvage, l’Église accepte le remariage, elle affirme aussi que l’union conjugale a une qualité sacramentelle – ce qui signifie éternelle. Si le couple désire qu’il en soit ainsi, et si par leur dévouement mutuel et leur fidèle engagement, ils s’efforcent d’y arriver, leur union sacramentelle d’alliance peut durer et croître au-delà de la mort et dans l’éternité.
Il est dans la nature profonde du mariage d’être et de rester hétérosexuel : une union entre un homme et une femme. (Il est fort inquiétant de constater aux États-Unis le nombre de prêtres orthodoxes mariés qui quittent leur femme et leur foyer pour assumer une liaison homosexuelle.) La complémentarité des sexes est nécessaire à la procréation – au moins au sens conventionnel et dans l’avenir immédiat.1 Et quelque considérable que soit la valeur de l’union conjugale, une raison fondamentale de la sexualité et du mariage reste l’invitation donnée par Dieu à « se multiplier et emplir la terre ». C’est précisément la qualité hétérosexuelle du mariage qui permet au couple de procréer, c’est-à-dire de participer à l’oeuvre incessante de Dieu, oeuvre de création de personnes qui portent Son image divine.
Le troisième adjectif qui qualifie le mariage est celui qui le fait spécifiquement chrétien. L’union conjugale est appelée à être bénie par Dieu, à être ecclésialisée. La bénédiction sacramentelle confère au couple la grâce qui fait de cette union une véritable vocation. En tant que réalité bénie, le mariage relie le couple d’une manière nouvelle et unique à l’Alliance que Dieu établit avec Son peuple, Ses fidèles. Il les insère dans le flux de l’histoire du salut, qui commence avec les patriarches, et culmine dans la vie de l’Église. Aussi la prière de la liturgie orthodoxe du couronnement demande-t-elle à Dieu, à plusieurs reprises, de bénir les époux comme Il a béni Abraham et Sarah, Isaac et Rébecca, Joachim et Anne, Zacharie et Élisabeth. « Bénis-les, préserve-les, et souviens-toi d’eux, Seigneur notre Dieu, comme tu t’es souvenu de tes quarante saints martyrs, leur envoyant du ciel la couronne ».
Cette bénédiction est effectivement symbolisée par les couronnes de mariage. Elles représentent à la fois la gloire du couple nouvellement formé et le combat ascétique qui les attend. La bénédiction de Dieu, exprimée à travers le couronnement rituel, engage les époux dans un pèlerinage qui les unit aussi bien dans la lutte que dans la victoire, avec les patriarches et les prophètes de l’Ancienne Alliance, et avec les apôtres et les martyrs de la Nouvelle Alliance. Les couronnes de mariage témoignent de la promesse que Dieu a faite, que pour ceux qui demeurent fidèles à son Alliance, scellée par la bénédiction octroyée lors de la cérémonie du mariage, les couronnes du martyre seront un jour transformées en couronnes de victoire.
Enfin, le mariage chrétien est véritablement conjugal. Ceci devrait être une tautologie. Mais dans l’atmosphère contemporaine de divorces en série et d’engagement minimum, cela mérite d’être réaffirmé. Dans une perspective chrétienne, le mariage n’est véritablement conjugal que s’il mène à une nouvelle création d’une seule chair, création qui devient progressivement l’image de l’union dans le dévouement et l’amour parfait qui existe entre le Christ et Son Corps universel, Son Épouse bien-aimée.
VI. L’amour sacrificiel entre le Christ et l’Église
Le mariage chrétien est donc totalement différent des unions séculières, y compris celles qui, formellement, seraient scellées par un office religieux. La composante première et essentielle d’un mariage authentiquement chrétien est l’engagement de la part de chaque époux d’aimer, de pardonner, d’étreindre et de nourrir l’autre comme le Christ aime, pardonne, étreint et nourrit tous ceux qui sont baptisés dans son Corps. Les Saints Pères évoquent très souvent la métaphore nuptiale pour décrire la relation entre le Christ et l’âme. Ils utilisent fréquemment le langage du Cantique des Cantiques pour parler de la nature passionnée et véritablement érotique qui unit l’âme au Christ, comme une fiancée à son bien-aimé. Si ces images sont acceptables pour nos aînés spirituels, c’est parce que la Sainte Tradition elle-même place si haut le vrai but et le vrai sens du mariage : être une icône vivante de l’erôs divin, de l’amour divin.
Le mariage chrétien a-t-il un avenir ? L’institution du mariage, en termes conventionnels, est si menacée aujourd’hui que son avenir est de toute évidence en péril. Mais cela ne fait que souligner le caractère unique et la nécessité de mariages authentiques qui à la fois témoignent de l’amour de Dieu et fournissent la matrice dans laquelle cet amour pourra réaliser le salut à la fois pour les époux et pour leurs enfants, fruit de leur union conjugale.
Face à tous les défis lancés aujourd’hui à l’institution du mariage, notre vocation en tant que chrétiens est claire. Il s’agit de redécouvrir et de revivre dans nos unions conjugales une profondeur de dévouement, d’engagement, de fidélité et d’amour qui guérisse et transforme la profonde solitude qui menace la vie de chacun d’entre nous dans un monde hostile et dépourvu de sens. C’est de redécouvrir cette vérité que le mariage est fermement ancré dans l’amitié, dans le grand plaisir que l’on trouve dans l’autre, dans la joie de sa présence, dans le respect de ses sentiments et de son intégrité, et dans un dévouement si pur et si illimité que nous serions prêts à mourir pour cette personne. Si le taux de divorce est ce qu’il est, si la violence et le délaissement conjugaux sont si communs dans notre société, c’est en grande partie parce que les époux n’ont jamais découvert l’un dans l’autre un réel ami et un confident unique, une source de stimulation intellectuelle et de perfectionnement spirituel, quelqu’un avec qui ils partagent le rire, les larmes et les plaisirs mutuels.
Certes, une telle amitié peut être réalisée entre un couple de même sexe, tout comme le « mariage homosexuel » peut engendrer un profond souci pour le bien-être et le salut de l’autre. À maints égards une union consacré entre deux hommes ou deux femmes est capable de communiquer la même grâce et la même bénédiction qu’une alliance conjugale établie entre un homme et une femme. Ayant connu et grandement apprécié la présence et l’amitié de plusieurs personnes homosexuelles, hommes et femmes, je regrette profondément la souffrance qu’elles ont endurée à cause de l’homophobie, aussi bien en société que dans l’Église. C’est la raison pour laquelle je souhaite tout aussi profondément que nous reconnaissions leur « péché » comme une fonction de la même lutte spirituelle que tous nous sommes obligée d’assumer, pour rester fidèle au Christ et à l’Évangile. C’est aussi la raison pour laquelle je pense que nous commettons un grand tort et une injustice flagrante en refusant d’admettre de telles personnes à la communion eucharistique. Communion qui est « pour la guérison de l’âme et du corps ». Car tous nous avons besoin de cette guérison, les uns autant que les autres.
Néanmoins, je suis obligé de revenir au fait que l’Orthodoxie considère à juste titre les deux aspects du mariage, procréation et union conjugale, comme essentiel dans la vie d’un couple. Même là où, à cause d’une infirmité ou de l’âge, aucun enfant ne peut naître, la relation homme-femme constitue un témoignage iconique, une complémentarité sexuelle qui manifeste la volonté de Dieu pour ceux qui sont crées à Son Image. Une telle qualité iconique, reflétant l’amour sacrificiel entre le Christ et son Épouse, n’est propre qu’à la vie conjugale d’un homme et une femme qui se consacrent l’un à l’autre dans le monde et pour l’éternité.
Important que soient la procréation et l’union conjugal, la tradition orthodoxe voit la raison ultime de l’union conjugale dans une vérité plus grande encore. Le mari et la femme sont unis dans le mariage afin de participer à un amour faisant don de soi, qui est d’origine transcendantale. Cet amour, qui suscite le désir mutuel tout en créant une nouvelle réalité, « une seule chair », trouve son expression la plus sublime dans le désir partagé dans le couple pour la vie éternelle, en communion avec la Sainte Trinité. Outre la procréation et l’union dans un engagement mutuel, l’Orthodoxie déclare qu’un aspect essentiel du mariage est sotériologique : par lui, le mari et la femme sont appelés à oeuvrer à leur salut mutuel, dans l’altérité et la complémentarité du « gender » qui leur est propre.
Le principal moyen de maintenir la fidélité conjugale est d’aimer l’autre précisément comme il ou elle est véritablement, et pourtant aussi comme la grâce peut le ou la refaçonner. Rencontrer l’autre dans ses propres termes, comme Dieu l’a créé et a voulu qu’il devienne, c’est s’engager dans une rencontre unique avec l’autre. C’est enraciner la relation conjugale dans toute la dure réalité de la vie et du combat spirituel quotidien. Et en même temps, c’est aussi transcender constamment cette réalité, pour découvrir dans l’autre la beauté et la perfection de la personne, qui porte l’image et la ressemblance divines. Tout en jouissant de tous les fruits et de toutes les joies de l’amour érotique, le couple de ce fait croît ensemble dans un erôs plus profond, vécu comme une soif inextinguible d’union éternelle avec Dieu, l’Objet de leur désir le plus intense et le plus sublime.
- Les développements dans le domaine de l’AMP (l’assistance médicale à la procréation) sont tels que la parthénogenèse humaine risque dans les années à venir de devenir aussi routine que la FIVETE (la fécondation in vitroet transfère d’embryon) l’est aujourd’hui. ↩︎