Dans l’attente de la nouvelle Jérusalem
Environ cinq cent ans avant la venue du Christ, le peuple d’Israël s’était retrouvé dispersé parmi les nations de l’ancien Proche-Orient. Son exil à Babylone avait touché à sa fin, quoique nombre d’entre eux demeuraient dans la diaspora, la grande dispersion des élus du troupeau de Dieu. Ce qui les unifia par-dessus tout fut leur désir profond de revoir leur patrie, d’y adorer une fois de plus dans la sainte ville de Jérusalem sur le mont Sion. « Si je t’oublie, ô Jérusalem, chantaient-ils dans leurs amères complaintes, que ma main droite s’atrophie ! Que ma langue colle à mon palais si je ne pense plus à toi… » (Ps 137 (136).5-6). À la fin, la délivrance est arrivée avec la victoire du roi perse Cyrus. Mais le peuple était toujours dispersé de tous côtés, beaucoup d’entre eux étant victimes des despotes païens.
La troisième et dernière partie du livre d’Isaïe (chapitres 56-66) est une proclamation du salut, un oracle d’espoir et de promesse proféré par la voix de Dieu et prononcé par le prophète. Il parle de la situation d’Israël avec une écrasante assurance, qu’avec la présence de Dieu parmi le peuple, ce dernier serait rassemblé et rétabli dans sa patrie.
Avec cette assurance vient la promesse qu’un tel rétablissement inclurait les Gentils. Une fois convertis des ténèbres de l’idolâtrie à la lumière de la vraie foi, les souverains étrangers monteraient à Jérusalem avec leur pouvoir et toute leur richesse pour les déposer aux pieds du peuple élu et pour y adorer le Seigneur comme Rédempteur, le Saint et le Puissant d’Israël.
Le chapitre 60 commence par un magnifique hymne cultuel adressé à Sion et composé selon un parallélisme concentrique (chiasmique). Son thème est l’apparition radieuse de Dieu à Ses élus avec l’assurance qu’une fois le peuple d’Israël rétabli dans sa terre natale, les nations étrangères ne s’aventureraient plus au sein des ténèbres spirituelles mais bien dans la gloire du Seigneur.
Mets-toi debout
et deviens lumière,
car elle arrive, ta lumière : la gloire
du Seigneur sur toi s’est levée.
Voici qu’en effet les ténèbres couvrent la terre
et un brouillard, les cités,
mais sur toi va se lever le Seigneur,
et sa gloire sur toi est en vue.
Les nations vont marcher vers ta lumière
et les rois vers la clarté de ton lever.
[Isaïe 60.1-3, in Traduction œcuménique de la Bible, pp. 541-542, Ed. du Cerf, 1997.]
Tout comme les Israélites de Babylone, le Christ, le Fils éternel de Dieu, s’est trouvé Lui-même en exil au royaume de la mort. Lui, le Messie qui incarne et accompli Israël, a souffert la mort. Ses disciples sont dispersés dans une diaspora qui leur est propre, incapables de saisir le plan divin qui tire la vie de la mort et par là reconduit le peuple de Dieu à sa vraie patrie, au sein « de la nouvelle Jérusalem qui descend du ciel… » (Ap 21.2).
Tout comme Israël en exil, nous attendons le salut final, quelques fois avec un âpre désir. L’oracle d’Isaïe s’adresse aux Hébreux disséminés à l’étranger et toujours éloignés du lieu géographique, la seule réalité qui pouvait satisfaire leur ardeur, à savoir, la ville sainte de Jérusalem avec son culte au Temple. C’est cette attente, plus que toute autre association ethnique, qui les identifie comme vrais Israélites. La conjoncture est la même dans la vie de l’Église. En tant qu’« Israël de Dieu » (Ga 6), nous sommes des étrangers en terre étrangère. Nous sommes constamment tentés « d’oublier Jérusalem » car d’une part, l’espoir semble si lointain ou, d’autre part, la douleur de la séparation si intense.
Des tout premiers jours de l’Église, le peuple chrétien sait qu’il vit en exil, tenu captif en une « terre étrangère » et incapable de retourner à sa vraie demeure. Il est et a été, comme l’auteur de l’Épître à Diognète (au 2e siècle ?) le décrit :
« Ils [les chrétiens] demeurent dans leur propre patrie, mais en tant que pèlerins ; ils ont part à toute chose comme citoyens, mais en pâtissent tous en tant qu’étrangers. Chaque contrée étrangère leur est une patrie, et chaque patrie un pays étranger… Ils vivent sur la terre, mais possèdent la citoyenneté des cieux. »1
Les cieux sont la nouvelle Jérusalem de la vision du prophète, le « Royaume des cieux » qui représente la vie glorifiée en communion éternelle avec Dieu. Tel est notre désir : de « retourner », paradoxalement, au lieu que nous n’avons jamais réellement connu mais que nous avons présent à l’esprit et dans notre cœur comme l’accomplissement de tous les espoirs et de tous les désirs.
Tout comme Israël, notre retour, dans la grâce et le pouvoir de notre Seigneur, nous est promis non seulement par égard pour nous-mêmes mais en considération « des nations ». Comme nous le clamons dans la liturgie, notre salut et l’accomplissement de nos aspirations les plus impératives sont consommés « pour la vie du monde ».
La voix du prophète s’adresse à l’Église comme elle haranguait la Jérusalem d’autrefois : « Mets-toi debout et deviens lumière, car la gloire du Seigneur s’est levée sur toi ! » Cette gloire, cette splendeur radieuse, a émané des ténèbres de la tombe pour aplanir pour tous les peuples le sentier qui mène à la nouvelle Jérusalem, la cité céleste dont la lumière est la gloire de Dieu et dont le réverbère est l’Agneau abattu puis ressuscité.
« Puissé-je ne jamais t’oublier, ô Jérusalem, terre de nos pères et visée de notre pèlerinage terrestre ! Que la gloire du Seigneur soit sur toi, et que moi et tous les peuples puissions connaître, croire et proclamer la résurrection de Jésus Christ, notre espoir et notre gloire, la source de notre salut ! »
- Texte grec dans K. Lake, The Apostolic Fathers, vol. 2, pp. 358-61. Harvard University Press, 1959. ↩︎